1967 : Conférence de presse de Charles de Gaulle "L'Etat d'Israël" | Archive INA

Ci-dessous la transcription en texte du passage concernant le Moyen-Orient:

Résumé

Le texte aborde la situation du conflit israélo-arabe dans le contexte de la guerre des Six Jours et de ses conséquences. Il évoque les appréhensions autour de la création de l’État d’Israël après la Seconde Guerre mondiale, notamment en raison des tensions avec les peuples arabes environnants. La France, bien qu’ayant initialement soutenu Israël, avait progressivement adopté une politique de détente au Moyen-Orient, tout en continuant de maintenir des relations cordiales avec Israël et en fournissant des armements. Cependant, la France prônait la modération et désapprouvait toute initiative israélienne agressive. Lors de la guerre de 1967, Israël a attaqué et conquis des territoires, entraînant une occupation qui, selon le texte, ne peut qu’aggraver les tensions. Le conflit reste suspendu par un cessez-le-feu fragile, et une résolution durable ne pourra être obtenue que par des négociations internationales impliquant les grandes puissances, avec un retrait des territoires occupés et un accord de reconnaissance mutuelle entre les États concernés.

la citation intégrale

Certains redoutaient même que les juifs, jusqu’alors dispersés, mais qui étaient restés ce qu’ils avaient été de tout temps, c’est-à-dire un peu plus sûrs d’eux-mêmes et dominateurs, n’en viennent, une fois rassemblés dans le site de leur ancienne grandeur, à transformer leurs souhaits émouvants, « l’an prochain à Jérusalem », en ambition ardente et conquérante

Ci-après le texte intégral:

Nous allons passer à l’Orient, si vous voulez bien. On avait posé des questions sur le conflit actuel, et je suis prêt à y répondre. La guerre ayant éclaté au Moyen-Orient il y a six mois s’est terminée aussitôt, ainsi que l’on sait. Que pensez-vous, mon général, de l’évolution de la situation dans ce secteur du monde depuis juin dernier, et de l’agresseur dans la guerre des Six Jours ? Alors, c’est le président Nasser qui a fermé le détroit de Tiran. L’établissement entre les deux guerres mondiales, car il faut remonter jusque-là, d’un foyer sioniste en Palestine, et puis après la Deuxième Guerre mondiale, l’établissement d’un État d’Israël, soulevait à l’époque un certain nombre d’appréhensions. On pouvait se demander en effet, et on se demandait même chez beaucoup de juifs, si l’implantation de cette communauté sur des terres qui avaient été acquises dans des conditions plus ou moins justifiables et au milieu des peuples arabes, qui lui sont foncièrement hostiles, n’allait pas entraîner friction et conflit. Certains redoutaient même que les juifs, jusqu’alors dispersés, mais qui étaient restés ce qu’ils avaient été de tout temps, c’est-à-dire un peu plus sûrs d’eux-mêmes et dominateurs, n’en viennent, une fois rassemblés dans le site de leur ancienne grandeur, à transformer leurs souhaits émouvants, « l’an prochain à Jérusalem », en ambition ardente et conquérante. En dépit du flot, tantôt montant, tantôt descendant, des malveillants qu’ils provoquaient et suscitaient plus exactement dans certains pays à certaines époques, un capital considérable d’intérêt et même de sympathie s’était formé en leur faveur, surtout dans la chrétienté, nourri par l’immense souvenir du Testament, par une magnifique liturgie et par la commisération inspirée par leur antique malheur. Ce capital avait été accru par les abominables persécutions subies pendant la Deuxième Guerre mondiale, et grossi après la création de l’État d’Israël par leurs travaux constructifs et le courage de leurs soldats. C’est pourquoi, indépendamment des vastes concours en argent, en influence et en propagande que les Israéliens recevaient des milieux juifs d’Amérique et d’Europe, beaucoup de pays, dont la France, voyaient avec satisfaction l’établissement de leur État sur le territoire reconnu par les puissances, tout en espérant qu’ils parviendraient, avec un peu de modestie, à trouver un modus vivendi pacifique avec leurs voisins. Il faut dire que ces données psychologiques avaient quelque peu changé depuis 1956, à la faveur de l’expédition franco-britannique de Suez. On avait vu apparaître un État d’Israël guerrier et résolu à s’agrandir. Ensuite, l’action qu’il menait pour doubler sa population par l’immigration laissait penser que le territoire acquis ne lui suffirait pas longtemps, et qu’il chercherait à l’agrandir dès que l’occasion se présenterait. C’est pourquoi la Cinquième République s’était détachée des liens spéciaux noués par le régime précédent avec Israël et avait, au contraire, favorisé la détente au Moyen-Orient. Bien sûr, nous conservions des rapports cordiaux avec le gouvernement israélien et lui fournissions pour sa défense éventuelle les armements qu’il demandait d’acheter. Mais en même temps, nous lui prodiguions des conseils de modération, notamment à propos des litiges concernant les eaux du Jourdain ou des escarmouches entre les forces des deux côtés. Nous n’approuvions pas non plus son installation dans un quartier de Jérusalem dont il s’était emparé, maintenant notre ambassade à Tel-Aviv. D’autre part, après avoir réglé l’affaire algérienne, nous avions repris avec les peuples arabes d’Orient une politique d’amitié et de coopération, fidèle à la tradition française dans cette partie du monde. Nous ne cachions pas aux Arabes que pour nous, l’État d’Israël était un fait accompli, et qu’il était hors de question qu’il soit détruit. En somme, la France se préparait à aider à conclure une paix durable en Orient, pourvu qu’aucun nouveau drame ne survienne. Or, ce drame est arrivé. Il avait été préparé par une tension très grave, due au sort scandaleux des réfugiés en Jordanie et aux menaces de destruction proférées contre Israël. Le 22 mai, l’affaire d’Akaba a fourni un prétexte à ceux qui cherchaient une excuse pour éviter les hostilités. Le 24 mai, la France avait proposé aux grandes puissances d’interdire aux deux parties de commencer le combat. Le 2 juin, le gouvernement français avait déclaré qu’il désapprouverait quiconque déclencherait les hostilités. Je l’avais moi-même dit à Monsieur Eban, ministre des Affaires étrangères d’Israël, lors de sa visite à Paris le 24 mai. Je lui avais dit en substance : « Si Israël est attaqué, nous ne le laisserons pas détruire, mais si vous attaquez, nous condamnerons votre initiative ». Malgré l’infériorité numérique de la population israélienne, j’avais prédit qu’ils remporteraient des succès militaires, mais qu’ensuite, ils se retrouveraient dans des difficultés croissantes, tant sur le terrain qu’au niveau international, car la guerre au Moyen-Orient ne manquerait pas d’aggraver les tensions dans le monde et d’avoir des conséquences fâcheuses pour de nombreux pays. On sait que la voix de la France n’a pas été entendue. Israël a attaqué, et en six jours de combat, a pris les objectifs qu’il visait. Maintenant, il organise l’occupation des territoires conquis, une occupation qui ne va pas sans oppression, répression et expulsion, face à une résistance qu’il qualifie de terrorisme. Les deux belligérants respectent pour le moment le cessez-le-feu prescrit par les Nations Unies, bien que de manière précaire et irrégulière. Mais il est évident que le conflit est simplement suspendu et qu’il ne pourra être résolu que par la voie internationale. Un règlement, selon la France, doit inclure l’évacuation des territoires pris par la force, la fin des hostilités, et la reconnaissance mutuelle des États en cause. Ce règlement devrait être mis en œuvre sous la supervision des Nations Unies, avec la garantie de leur force. Il devrait aussi inclure un statut international pour Jérusalem. Mais pour qu’un tel règlement soit possible, il faudrait l’accord des grandes puissances. La France est d’avance disposée à offrir son concours politique, économique et militaire pour l’appliquer. Cependant, tant que l’une des grandes puissances est engagée dans une autre guerre, comme celle au Vietnam, il semble difficile qu’un accord voit le jour, car tout est lié dans le monde actuel.

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