L’opérateur satellitaire Eutelsat a récemment annoncé une avancée technologique majeure : le premier test mondial réussi d’une connexion 5G via satellite en orbite basse (LEO). Cette réalisation, qui pourrait transformer fondamentalement notre façon d’accéder à Internet, soulève des questions importantes sur l’avenir de la connectivité numérique, notamment concernant la possibilité pour les particuliers de se connecter directement avec leurs appareils personnels aux satellites, sans équipements spécialisés. Cette analyse détaille les implications de cette innovation, en particulier pour les utilisateurs français, et évalue si nous nous dirigeons vers un mode de connexion similaire à celui proposé par Starlink, mais sans nécessiter d’équipement dédié.
Une Première Mondiale dans la Connectivité Spatiale
Le 24 février 2025, Eutelsat, en collaboration avec MediaTek et Airbus Defence and Space, a réalisé avec succès le premier test mondial de réseau 5G non terrestre (5G NTN) en utilisant les satellites en orbite basse de OneWeb. Cette démonstration prouve qu’un terminal utilisateur 5G peut se connecter à un réseau central 5G en passant par une liaison satellitaire1. L’importance de cette avancée réside dans sa capacité à permettre aux futurs appareils compatibles 5G, qu’il s’agisse de smartphones, de véhicules ou d’applications IoT, de basculer sans interruption entre les réseaux cellulaires traditionnels et les réseaux satellitaires1.
Ce test représente bien plus qu’une simple prouesse technique. Il marque un tournant dans notre conception des réseaux de télécommunications, proposant une vision où les frontières entre réseaux terrestres et spatiaux s’estompent progressivement. La particularité de cette technologie réside dans le fait qu’elle ne nécessite pas d’appareil spécial - un smartphone standard pourrait bientôt capter directement ce signal venu de l’espace5. Cette innovation pourrait ainsi mettre fin aux zones blanches dans les régions rurales isolées ou en haute mer, offrant une connectivité véritablement universelle5.
Les satellites utilisés dans ce test ont été construits par Airbus et équipés de puces développées par MediaTek, auxquelles s’ajoutent des équipements fournis par Sharp et Rohde & Schwarz3. Le système exploite deux bandes de fréquences distinctes : la bande Ku pour communiquer avec les terminaux utilisateurs et la bande Ka pour les échanges avec les stations terrestres5.
OneWeb et Eutelsat : Une Alliance Stratégique
Pour comprendre pleinement les implications de cette avancée, il est essentiel de situer OneWeb dans le paysage des télécommunications spatiales. OneWeb représente une constellation d’environ 650 satellites de télécommunications en orbite basse, conçue pour fournir un accès Internet à haut débit dans les régions mal desservies par les infrastructures terrestres2. Après avoir connu des difficultés financières culminant par un dépôt de bilan en 2020, la société a été reprise par un consortium incluant le groupe indien Bharti Enterprises, l’opérateur français Eutelsat et l’État britannique2.
Eutelsat a progressivement renforcé sa position au sein de OneWeb, devenant le deuxième actionnaire avec une participation de 22,9%, juste derrière Bharti (30%)2. Cette stratégie d’investissement s’est concrétisée en 2023 par un rapprochement formel entre Eutelsat et OneWeb, donnant naissance au premier opérateur mondial de satellites combinant orbites géostationnaires (GEO) et orbites basses (LEO)3. Cette fusion a créé une entité disposant d’une flotte de 35 satellites géostationnaires et d’une constellation LEO comptant 652 satellites opérationnels3.
Cette position unique permet à Eutelsat de développer des services innovants combinant les avantages des deux types d’orbites. Les satellites en orbite basse offrent une latence réduite, tandis que les satellites géostationnaires assurent une couverture stable sur de vastes zones géographiques. Récemment, Airbus Defence and Space a remporté un contrat pour la construction de 100 nouveaux satellites destinés à étendre la constellation OneWeb, avec des livraisons prévues à partir de fin 20262.
Le Programme IRIS2 et la Souveraineté Numérique Européenne
Le test réussi d’Eutelsat s’inscrit dans une dynamique européenne plus large, notamment à travers le programme IRIS2 (Infrastructure for Resilience, Interconnectivity, and Security by Satellite). Cette initiative ambitieuse prévoit le déploiement de 270 satellites en orbite terrestre basse (LEO) et 18 satellites en orbite terrestre moyenne (MEO), avec une opérabilité complète attendue d’ici 20303. Doté d’un budget conséquent de 10,6 milliards d’euros, IRIS2 représente la réponse stratégique de l’Europe face aux constellations satellitaires américaines et chinoises5.
Eutelsat figure parmi les opérateurs de satellites sélectionnés par l’Union Européenne pour participer à ce programme d’envergure3. Les réseaux non terrestres 5G constituent l’un des projets phares développés dans le cadre d’IRIS2, visant à fournir une couverture sans fil directement depuis l’espace aux zones dépourvues d’infrastructures terrestres3.
Cette initiative européenne répond à plusieurs objectifs stratégiques. D’une part, elle vise à assurer l’autonomie technologique de l’Europe dans un secteur critique pour le développement économique et social. D’autre part, elle permettrait de réduire la dépendance à l’égard de services comme Starlink, qui domine actuellement le marché de l’Internet par satellite avec ses quelque 7000 satellites en orbite5. Le programme IRIS2 représente donc un enjeu majeur de souveraineté numérique pour le continent européen.
Comparaison avec les Solutions Existantes d’Internet par Satellite
Le système testé par Eutelsat se distingue fondamentalement du modèle actuellement proposé par Starlink. Alors que le service de SpaceX nécessite l’installation d’une antenne parabolique spécifique (communément appelée « dish ») pour établir la connexion avec les satellites, la technologie 5G NTN permettrait aux utilisateurs de se connecter directement avec leurs smartphones standards5. Cette différence est cruciale car elle élimine un obstacle majeur à l’adoption massive de l’Internet par satellite : la nécessité d’acquérir et d’installer un équipement spécifique.
Cette approche rappelle le service « Direct-to-Cell » annoncé par Starlink, mais avec une orientation plus marquée vers l’intégration aux standards 5G établis5. La technologie d’Eutelsat repose sur la norme 5G la plus récente, la 3GPP Release 17, garantissant ainsi sa compatibilité avec les appareils modernes5. La standardisation représente un avantage considérable, permettant potentiellement une adoption plus rapide et plus large par les fabricants d’appareils et les opérateurs de télécommunications.
Samsung avait d’ailleurs annoncé dès 2023 travailler sur l’intégration d’une technologie permettant aux smartphones 5G d’utiliser les communications par satellite dans les zones sans couverture cellulaire4. L’entreprise coréenne avait alors indiqué avoir sécurisé « une technologie de modem 5G NTN standardisée pour la communication directe entre smartphones et satellites », qu’elle prévoyait d’intégrer à ses modems Exynos4. Ces modems seraient capables non seulement d’échanger des messages texte bidirectionnels, mais également de partager des images et des vidéos en haute définition4.
Implications pour les Utilisateurs Individuels en France
Pour les utilisateurs français, cette avancée technologique pourrait transformer radicalement l’expérience de connectivité, particulièrement dans les zones rurales ou montagneuses où la couverture réseau reste problématique. La France, avec sa géographie variée incluant des régions montagneuses et des territoires d’outre-mer, pourrait bénéficier considérablement d’une solution permettant aux smartphones standard de se connecter directement aux satellites5.
La promesse d’Eutelsat est de permettre une transition fluide entre les réseaux terrestres et spatiaux. Un utilisateur pourrait ainsi passer d’une tour 5G en ville à un satellite en montagne sans même s’en apercevoir, assurant une continuité de service inédite5. Cette capacité représenterait une avancée majeure par rapport à la situation actuelle, où les zones blanches persistent malgré les efforts des opérateurs télécoms et les obligations de couverture imposées par les autorités.
Pour les zones reculées où l’installation d’antennes terrestres reste prohibitive en termes de coûts, cette solution apparaît particulièrement pertinente5. Elle pourrait également offrir une solution de connectivité aux personnes en déplacement dans des régions mal couvertes, comme les randonneurs en montagne ou les navigateurs en mer, garantissant ainsi un accès permanent aux services d’urgence.
Perspectives d’Avenir et Défis à Relever
Bien que prometteuse, cette technologie fait face à plusieurs défis avant de pouvoir être déployée à grande échelle. L’un des principaux obstacles concerne la consommation énergétique des appareils. Établir et maintenir une connexion directe avec un satellite demande généralement plus d’énergie qu’une connexion à une antenne terrestre proche, ce qui pourrait impacter l’autonomie des smartphones.
La gestion des handovers (transferts de connexion) entre satellites représente également un défi technique considérable, particulièrement pour une constellation en orbite basse où les satellites se déplacent rapidement par rapport à la surface terrestre. Le système devra optimiser ces transitions pour garantir une expérience utilisateur fluide.
Du côté des fabricants de smartphones, des adaptations pourraient être nécessaires pour intégrer efficacement cette technologie. Samsung avait d’ailleurs mentionné que sa plateforme de référence Exynos 5300 pouvait "prédire avec précision les emplacements des satellites et minimiser les décalages de fréquence causés par l’effet Doppler"4, suggérant que des optimisations logicielles et matérielles spécifiques seraient requises.
Le déploiement complet de la constellation IRIS2, prévu pour 2030, représente l’horizon temporel le plus probable pour une disponibilité grand public de cette technologie en France3. D’ici là, des tests à plus grande échelle et des déploiements pilotes permettront d’affiner la solution technique et les modèles économiques associés.
Conclusion
L’essai réussi d’Eutelsat marque indéniablement une étape importante vers une connectivité véritablement ubiquitaire. Contrairement à Starlink qui nécessite un équipement dédié, la technologie 5G NTN testée par Eutelsat ouvre la voie à une connexion directe entre smartphones standards et satellites, promettant de révolutionner notre façon d’accéder aux réseaux de télécommunication.
Pour les utilisateurs français, cette avancée signifie qu’à terme - probablement à l’horizon 2030 avec la pleine opérabilité d’IRIS2 - leurs smartphones pourraient effectivement se connecter directement aux satellites OneWeb sans équipement supplémentaire, offrant une couverture ininterrompue même dans les zones les plus isolées du territoire35. Ce futur système se distingue fondamentalement du modèle actuel de Starlink qui nécessite une antenne parabolique spécifique.
Cette innovation s’inscrit dans une stratégie européenne plus large visant à assurer l’autonomie numérique du continent face aux constellations américaines et chinoises. Elle représente également une opportunité significative pour réduire la fracture numérique persistante entre zones urbaines et rurales, offrant une connexion de qualité à l’ensemble de la population, indépendamment de sa localisation géographique.
Citations:
- https://www.voicendata.com/news/eutelsat-successfully-tests-worlds-first-5g-satellite-connection-8754606
- L’actualité de OneWeb - 4ASpace
- La 5G dans l’espace : une très bonne nouvelle ! – Navigation Mac
- https://fr.hi-network.com/samsung-is-looking-at-satellite-connectivity-for-5g-smartphones.html
- Une connexion 5G venue du ciel sur tous les smartphones : l’Europe entre dans la danse pour défier Starlink
- Eutelsat conclui 1º teste de rede 5G a partir do espaço
- OneWeb — Wikipédia
- Eutelsat réussit un exploit : la 5G directement depuis l'espace, une première mondiale
- Thuraya One: The First Android 14 Smartphone Merging 5G and Satellite Connectivity - TechAfrica News
- Does your phone have direct-to-cell? Technology seen as key to bringing 5G satellite to the masses
- https://www.esa.int/Applications/Connectivity_and_Secure_Communications/World-first_direct_5G_connection_to_low_Earth_orbit_satellite_opens_new_era_for_mobile_coverage
- Mobile connectivity: 5G and satellite internet services
- https://www.telecoms.com/5g-6g/ericsson-and-friends-muscle-in-on-direct-to-satellite-5g
- World first 5G satellite connection sets new milestone for mobile communication
- https://www.ericsson.com/en/press-releases/3/2025/ericsson-qualcomm-thales-achieve-space-connectivity-milestone
- Eutelsat testa com sucesso primeira rede 5G a partir do espaço | CNN Brasil
- OneWeb et Telespazio signent un accord de partenariat de distribution pour la prestation de services OneWeb en Europe
- https://www.zdnet.fr/actualites/5g-depuis-lespace-eutelsat-vient-concurrencer-starlink-406950.htm
- Empresas testam 5G via satélite para acabar com 'zonas mortas' de cobertura | TELETIME News
- Ligne d'assemblage finale de satellite - ADF
- Eutelsat : déploie le premier réseau 5G non terrestre au monde grâce à la constellation de satellites LEO OneWeb
- Is 5G the future or is satellite direct to mobile the future of mobile connectivity?
- Kinvo
- https://oneweb.net
- Eutelsat contre SpaceX : qui va mener la révolution satellite ?
- Thuraya launches new 5G-satellite smartphone in latest D2D move - Developing Telecoms
- du and SES Demo First Satellite-enabled 5G Mobile Backhaul Network in the Middle East | SES
- Direct-to-Device Connectivity: An Opportunity for Europe | ESA CSC
- https://www.businesswire.com/news/home/20250302001120/en/Vodafone-and-AST-SpaceMobile-Sign-Agreement-to-Create-European-Direct-To-Device-Satellite-Service-Provider