Le Paradigme de l’Action Immédiate
Nous voici confrontés à cet éternel dilemme qui traverse l’histoire humaine : l’équilibre précaire entre réflexion et action, entre la patience de la diplomatie et l’immédiateté de la force. Cette tension se cristallise aujourd’hui dans l’attitude de certaines puissances mondiales, particulièrement les États-Unis, dont la réputation d’agir sans délibération approfondie n’est plus à démontrer. Si cette propension à l’action directe peut parfois susciter une forme d’admiration, elle révèle également une inquiétante tendance à privilégier l’efficacité supposée du fait accompli sur la complexité nécessaire de la négociation.
Les États-Unis se sont longtemps arrogé le rôle de « gendarmes du monde », une position qui, malgré quelques intentions louables, s’est accompagnée d’une série d’interventions aux conséquences durables. La déstabilisation de régimes démocratiques sud-américains, le soutien apporté à diverses dictatures, constituent autant d’épisodes qui, pour être bien documentés, n’en demeurent pas moins révélateurs d’une approche géopolitique fondée sur la primauté de l’intérêt stratégique immédiat sur la cohérence idéologique à long terme.
Israël : Une Ambition Régionale Assumée
Israël, pour sa part, adopte une posture sensiblement différente. Sans revendiquer explicitement un rôle de gendarme mondial, l’État hébreu semble concentrer ses ambitions sur une domination régionale au Moyen-Orient. Cette limitation géographique, si elle peut paraître plus modeste, n’en représente pas moins un objectif considérable, compte tenu de la complexité et de la volatilité de cette région.
Cette convergence d’approches entre les États-Unis et Israël, cette fascination commune pour les solutions de force, avait été remarquablement analysée par le général de Gaulle lors de sa conférence de presse de 1967. Les qualificatifs qu’il avait alors appliqués au peuple israélien conservent aujourd’hui une pertinence troublante et auraient d’ailleurs pu s’étendre au peuple américain.
L’Héritage de la Violence Fondatrice
Les États-Unis portent en eux l’héritage de leur construction territoriale, cette « conquête de l’Ouest » mythifiée qui a forgé l’imaginaire national autour du revolver et du chapeau de cowboy. Cette violence fondatrice, institutionnalisée aujourd’hui par le droit constitutionnel au port d’armes, révèle une relation particulière à la force comme mode de résolution des conflits.
Israël, quant à lui, entretient un rapport différent mais tout aussi complexe avec la violence. Moins prolixe en discours sur le sujet, il n’en pratique pas moins un usage quotidien de la force, comme en témoignent les nombreuses violations des droits de l’homme et le mépris répété des résolutions internationales. Cette approche pragmatique de la violence, débarrassée de toute rhétorique justificatrice, n’en est que plus inquiétante.
L’Illusion de la Puissance Absolue
L’utilisation récente de la « mère de toutes les bombes » américaine révèle cette fascination persistante pour l’excès de puissance comme solution ultime. Cette croyance, presque mystique, en la capacité de la force brute à résoudre tous les problèmes, ignore délibérément les leçons de l’histoire. L’exemple vietnamien, avec ses millions de tonnes d’armes chimiques déversées sans résultat décisif, devrait pourtant servir d’avertissement.
Pourquoi alors les États-Unis et Israël persistent-ils dans cette illusion qu’une intervention massive sur les sites nucléaires iraniens pourrait contraindre ce pays, trois fois plus vaste que la France, à capituler ? Peut-être parce que, privés d’alternatives crédibles, ils s’accrochent à cette chimère de la solution définitive par la force.
La Comédie Humanitaire de Netanyahu
Les récentes déclarations de Monsieur Netanyahu, prétendant vouloir « libérer » le peuple iranien du joug des mollahs, relèvent d’une mise en scène si grossière qu’elle frise le ridicule. Voir un homme poursuivi par la Cour pénale internationale pour crimes de guerre se transformer en grand humanitaire soucieux du sort des Iraniens constitue un spectacle d’une rare indécence. Cette instrumentalisation de la rhétorique humanitaire à des fins bellicistes illustre parfaitement la dérive contemporaine du discours politique international.
L’Effondrement du Droit International
Nous assistons aujourd’hui à un phénomène particulièrement troublant : de grandes puissances, qu’il s’agisse des États-Unis ou de la Russie, proclament ouvertement leur mépris du droit international tout en conservant leur place dans les instances internationales. Cette contradiction, pour le moins paradoxale, révèle une crise profonde du système établi après la Seconde Guerre mondiale.
Plus inquiétant encore, de nombreuses démocraties semblent avoir rallié cette conception selon laquelle le droit international, patiemment construit sur les ruines de la catastrophe de 1939-1945, ne sert désormais plus à rien. L’idée que la construction d’une « très grosse bombe » et son usage contre un voisin puisse constituer une solution acceptable marque un retour à une logique prémoderne des relations internationales.
Le Retour à l’Âge de la Force
Nul besoin d’être un génie de la géopolitique pour prédire les développements catastrophiques qu’engendrera cette approche. D’où l’urgence de réhabiliter la diplomatie, une idée louable en soi, mais qui souffre d’une contradiction fondamentale lorsqu’elle émane de ceux qui, par ailleurs, prônent la logique de la haine et de l’affrontement.
Cette incohérence révèle une question essentielle : qui déterminera désormais la pertinence des occasions où bombarder son voisin est « justifié » ? Jusqu’à présent, cette responsabilité incombait à l’ONU, mais cette institution n’existe plus véritablement en tant qu’arbitre efficace. Nous sommes ainsi revenus à l’époque d’avant la Seconde Guerre mondiale, avec les résultats que nous connaissons.
L’Ère du Silence Diplomatique
Nous traversons une période historique où les armes parlent tandis que les diplomates sont contraints au silence. Les conséquences de cette régression sont déjà visibles : le génocide à Gaza n’est que le prélude à d’autres catastrophes à venir. Il faudra peut-être attendre plusieurs décennies avant que l’humanité retrouve la voie de la raison.
Cette situation devient d’autant plus préoccupante que certains des dirigeants les plus imprévisibles de la planète, comme le chef d’État nord-coréen, disposent de l’arme nucléaire sans que quiconque songe à les inquiéter. Cette complaisance envers un dictateur dont l’arsenal nucléaire ne semble poser aucun problème, contrairement à un programme iranien hypothétique, révèle les contradictions flagrantes de la géopolitique contemporaine.
La Fascination Destructrice
Nous voici donc confrontés à cette fascination collective pour les instruments de destruction massive : les très gros avions, les très grosses bombes, les centaines de milliers de tonnes d’explosifs. Cette obsession procède d’une illusion dangereuse : celle que ces armes ne pourraient jamais se retourner contre ceux qui les emploient.
L’espoir fait vivre, dit-on, mais lorsque cet espoir repose sur la croyance en l’efficacité absolue de la violence, il devient le prélude à des catastrophes dont l’ampleur dépassera probablement tout ce que nous avons connu jusqu’à présent. La question n’est plus de savoir si nous sortirons de cette spirale destructrice, mais quand et à quel prix l’humanité retrouvera la sagesse de la mesure et de la négociation.