Louis-Ferdinand Céline, pilier de bistrot génial ou ronchonneur aigri ?

Céline : L’écueil du verbe populaire

Louis-Ferdinand Céline demeure une figure profondément ambivalente de notre patrimoine littéraire. Pionnier incontestable dans sa volonté de transposer la langue des faubourgs et des comptoirs sur la page blanche, il n’est jamais parvenu – et c’est là tout le paradoxe de son œuvre – à transcender véritablement son matériau initial. Là où l’alchimie aurait dû opérer, on ne trouve trop souvent qu’une transcription brute, une sorte de sténographie du ressentiment qui manque cette sublimation propre aux grands créateurs.

La comparaison s’impose naturellement avec d’autres destins littéraires. Antonin Artaud, par exemple, a consumé son existence même dans le brasier de son art, offrant une cohérence totale, presque terrifiante, entre la vie et l’œuvre. Michel Audiard, d’une tout autre manière, a su – lui qui s’est nourri de l’héritage célinien – accomplir ce que Céline n’a fait qu’esquisser : élever la gouaille populaire au rang d’art véritable, architecture précise où chaque réplique devient cristallisation de tout un monde social.

Céline reste ainsi prisonnier d’une position intermédiaire : trop ancré dans l’aigreur pour atteindre l’universel, trop compromis par des choix biographiques indéfendables pour incarner la figure du maudit absolu. Un précurseur, certes, mais qui n’a pas su transformer l’intuition en accomplissement. Comme si Houellebecq tentait de ventriloquiser Audiard : l’exercice révèle surtout l’écart entre l’ambition et la réalisation.