La technique du « firehose of falsehood »[1] constitue un phénomène fascinant dans le paysage médiatico-politique actuel. Cette méthode de propagande, caractérisée par un déluge continu et massif d’informations de véracité variable, trouve ses racines dans les pratiques soviétiques puis russes, avant de connaître une expansion remarquable sous Vladimir Poutine, notamment lors des conflits en Géorgie et en Ukraine.
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L’originalité de cette approche réside dans son mépris assumé pour la cohérence et la vérité factuelle. Son objectif n’est pas de convaincre par l’argumentation rationnelle, mais de submerger littéralement l’espace informationnel, rendant toute vérification impossible et toute contradiction futile face à l’avalanche suivante de nouvelles affirmations.
Donald Trump représente l’incarnation parfaite de cette stratégie, qu’il a adoptée avec une intensité particulière. Son rapprochement avec Vladimir Poutine s’explique d’ailleurs en partie par une fascination pour cette technique de communication que le président russe manie avec une certaine parcimonie calculée, quand Trump l’exploite jusqu’à l’overdose médiatique.
Concernant l’état mental de Trump, les hypothèses abondent, de la folie pure à la simplicité intellectuelle. La réalité est probablement plus nuancée : pas véritablement fou, mais indéniablement simplet, il a découvert dans cette technique du flux continu de déclarations improvisées un moyen simple à la mesure de ses capacités intellectuelles, mais redoutable, d’occuper l’espace médiatique.
Sa notoriété planétaire garantit que chaque jour, même les plus réticents se retrouvent exposés à ses propos, qu’ils soient scandaleux, absurdes, répétitifs ou simplement creux. Le génie pervers de cette approche réside précisément dans sa capacité à susciter des réactions, même intérieures, chez ses auditeurs involontaires.
Le véritable piège se referme lorsque l’on réagit à ses provocations, car cette réaction précipitée nous fait adopter son propre mode de fonctionnement chaotique. La seule stratégie identifiable chez Trump est précisément celle du chaos généralisé, non pas pour détruire l’Amérique ou ses propres intérêts, mais pour plonger le monde entier dans une confusion telle qu’il puisse ensuite se présenter comme l’unique solution à ce désordre qu’il a lui-même orchestré.
Cette stratégie, sans véritable précédent historique à cette échelle, n’aurait jamais pu émerger avant l’avènement des réseaux sociaux, ces mêmes plateformes que Trump prétend détester tout en les exploitant magistralement. Nous assistons à une métastase des aspects les plus toxiques des médias sociaux, qui ne sont pourtant pas intrinsèquement néfastes.
L’Histoire a déjà connu des tentatives d’instrumentalisation malveillante des technologies de communication, comme la propagande nazie. Mais la méthode de Trump diffère fondamentalement, s’apparentant davantage à un « coup de pied dans la fourmilière mondiale », où l’instigateur espère paradoxalement échapper aux conséquences de son action destructrice.
La tragédie réside dans l’incompréhension de ce phénomène par la plupart des dirigeants mondiaux. S’ils en saisissaient pleinement les mécanismes, ils se contenteraient simplement d’ignorer ces discours et mensonges quotidiens, d’autant plus insignifiants que leur auteur les contredira probablement dès le lendemain. Face à cette stratégie du déluge informationnel, l’abstention de réaction constitue paradoxalement la réponse la plus efficace.
Le « firehose of falsehood » (littéralement « tuyau d’incendie de fausseté » ou « de mensonges ») est une expression anglo-américaine qui désigne une technique de propagande suivant laquelle une grande quantité de messages est diffusée rapidement, répétitivement et en continu à travers plusieurs canaux. ↩︎