Réflexions sur le paradigme colonial israélo-palestinien

Depuis mon enfance dans les années 60, j’ai été témoin de cette perpétuelle invocation du « conflit israélo-palestinien » ou de cette prétendue « guerre du Moyen-Orient ». Une terminologie qui, avec le recul des décennies, révèle sa profonde inadéquation. Car enfin, peut-on véritablement parler de conflit quand l’asymétrie est si flagrante ? Peut-on évoquer une guerre là où ne s’affrontent pas deux États souverains sur un pied d’égalité ?

Ce que nous observons depuis soixante-dix-sept ans relève davantage - et les dirigeants israéliens eux-mêmes ne s’en cachent guère - d’une entreprise coloniale inachevée, une tentative d’appropriation territoriale qui s’accompagne inéluctablement de ces « joyeusetés » inhérentes à tout processus de colonisation : déplacement de populations, négation du droit à l’autodétermination, violence structurelle.

L’ironie historique veut que cette logique coloniale persiste à une époque où la plupart des démocraties occidentales ont répudié leur passé impérialiste. Israël se retrouve ainsi, aux côtés de la Russie contemporaine, dans cette singulière position d’État prétendant encore au XXIe siècle redessiner les frontières par la force et soumettre des peuples à sa volonté expansionniste.

L’isolement moral d’une alliance anachronique

Il est révélateur que le seul soutien indéfectible d’Israël émane des États-Unis, complice traditionnel - nation qui, paradoxalement, s’est récemment rapprochée diplomatiquement de cette même Russie colonisatrice. Cette convergence d’intérêts entre Washington et ses deux « protégés » autoritaires en dit long sur l’évolution troublante de ce qui fut jadis considéré comme le phare de la démocratie occidentale.

Le parallèle avec l’Allemagne nazie, pour dérangeant qu’il soit, s’impose par sa pertinence analytique. Comme le régime hitlérien qualifiait de « terroristes » tous ceux qui résistaient à son expansion, l’État hébreu a érigé cette rhétorique en système : toute opposition à son projet colonial devient, par définition, acte terroriste - femmes et enfants inclus.

L’échec d’une stratégie défensive illusoire

Qu’a véritablement accompli ce « petit État » d’Israël après plus de sept décennies d’existence ? Sur le plan moral - concept manifestement absent de ses préoccupations -, le bilan est accablant. Sur le plan sécuritaire, les récentes attaques de missiles iraniens ont cruellement exposé les failles du fameux « dôme de fer », cette coûteuse chimère technologique incapable de garantir une protection durable.

La véritable ambition israélienne ne souffre aucune ambiguïté : la colonisation intégrale de la région, qu’elle s’opère par la soumission des populations autochtones ou par leur élimination progressive. Cette stratégie a d’abord privilégié une approche que j’oserais qualifier d’ironiquement « douce » : la diabolisation systématique de toute résistance palestinienne, présentée comme intrinsèquement terroriste.

L’effondrement d’un narratif propagandiste

Cette propagande, naguère redoutablement efficace, s’érode aujourd’hui face à l’évidence. Comment maintenir la fiction du « terrorisme » face à des images d’enfants affamés de cinq ans ? Comment justifier l’injustifiable quand le monde entier est témoin des massacres perpétrés ?

Gaza incarne cette tentative génocidaire - car c’est bien de cela qu’il s’agit - visant à terroriser, soumettre ou contraindre à l’exil. Cette prison à ciel ouvert, où toute expression palestinienne est étouffée, où les journalistes sont systématiquement assassinés, révèle la véritable nature du projet sioniste.

Un tournant historique

Nous assistons aujourd’hui à un basculement fondamental. La quasi-totalité des nations civilisées reconnaît soit l’État palestinien, soit le droit inaliénable des Palestiniens à leur autodétermination. Seuls Israël et son complice américain persistent dans leur déni - attitude qui n’étonne guère de la part d’un pays qui n’a jamais reconnu les droits des populations indiennes qu’il a conquises.

Car enfin, cela fait bien longtemps que les États-Unis ont cessé d’incarner les valeurs démocratiques. Leur préparation actuelle d’une agression contre le Venezuela illustre parfaitement cette dérive autoritaire.

Deux destins tragiques

Face à nous se dressent donc deux peuples : l’un, jadis victime de la barbarie nazie, devenu rapidement bourreau ; l’autre, martyrisé depuis des décennies par cette même barbarie qu’il subira vraisemblablement encore longtemps.

Certes, la propagande israélienne s’effrite. Certains Israéliens développent même des états d’âme - phénomène impensable il y a trente ans. Des soldats osent publiquement questionner l’ampleur des massacres. Le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie se prononcent pour la reconnaissance palestinienne, signant ainsi l’acte de décès de la solidarité anglo-saxonne.

Israël a perdu sa guerre coloniale : moralement depuis longtemps, juridiquement devant les instances internationales. L’avenir qu’il s’est choisi est sombre - celui d’un peuple condamné à déambuler, arme au poing, dans son propre territoire, guettant perpétuellement le coup dans le dos.

« Le problème, quand on tient quelqu’un au bout d’un fusil, c’est qu’on ne peut plus jamais le lâcher, jamais. » [citation « Cent mille dollars au soleil » (1964)]

Un destin que l’on ne souhaite à personne, mais qui pâlit encore devant l’horreur du présent et de l’avenir palestiniens - peuple colonisé, martyrisé, assassiné sous le regard complice passif d’un Occident qui a perdu son âme.