Israël, un « fait colonial »

Dans son dernier ouvrage, « Solitude d’Israël », Bernard-Henri Lévy (BHL) conteste la caractérisation d’Israël comme un « fait colonial », une thèse avancée par l’orientaliste Maxime Rodinson en 1967. BHL, souvent non contesté par ses interviewers, défend Israël tout en critiquant cette notion de colonialisme. Cependant, un article d’Alain Gresh dans Orient XXI remet en question les arguments de BHL et met en lumière le texte de Rodinson, publié dans Les Temps modernes, qui analyse la formation de l’État d’Israël dans le contexte de l’expansion européo-américaine des XIXe et XXe siècles.

Rodinson avait démontré que le sionisme, malgré ses aspects révolutionnaires et utopiques, s’insérait dans un schéma colonial. Les idéaux communistes des pionniers sionistes ne doivent pas masquer le fait que leur entreprise a participé à une forme d’expansion coloniale, avec des kibboutz militarisés servant à la conquête du territoire palestinien. Rodinson critiquait aussi l’argument des droits historiques juifs sur la Palestine, en soulignant que cette revendication repose plus sur des mythes religieux que sur une légitimité historique ou juridique.

BHL, en réfutant le caractère colonial du projet sioniste, fait plusieurs affirmations erronées. Il prétend que les terres israéliennes furent achetées légalement, sans vol ni dol, alors qu’à la veille de 1947, la majorité des terres appartenait encore aux Palestiniens. Il soutient également que le sionisme était une forme d’anti-impérialisme opposée à l’Empire britannique, bien que Londres ait initialement soutenu l’immigration juive et la constitution d’institutions séparées en Palestine, voyant en cela un poste avancé de civilisation.

Rodinson démontre que ce soutien britannique n’était pas motivé par l’amour des juifs mais par des intérêts stratégiques. Le basculement britannique contre le mouvement sioniste n’efface pas le fait que le projet sioniste s’inscrit dans une logique coloniale, similaire à d’autres projets européens de colonisation. BHL ignore ces analyses et simplifie à outrance la complexité historique, ce que Gresh critique vivement, appelant à relire Rodinson pour comprendre la nature coloniale de l’entreprise sioniste et ses implications actuelles, notamment à Gaza.